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La Plume du Castor
La Plume du Castor
  • Rien que des nouvelles. Des courtes, des longues, du policier, du romantisme, de l’humour… (toute ressemblance avec des évènements ou personnes existantes ou ayant existée serait purement fortuite)
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8 décembre 2009

Le petit frère (Drame)

Il faisait si sombre que l’on se serait cru au crépuscule, alors que les cloches de la petite église venaient seulement de sonner la demi de quatorze heures. Une pluie torrentielle, autant qu’inattendue, s’abattait sur la petite assemblée, mais nul ne semblait y prêter vraiment attention, comme si personne ne voulait troubler la gravité du moment. Imperturbable, le prêtre continuait de prier au dessus de la tombe béante.

En son fond, un petit cercueil blanc.

Les malheureux parents se tenaient de chaque côté de la petite sépulture, un mur invisible les séparant, le mur de la haine. Unis par le même chagrin, mais à présent désunis dans la vie. Depuis des années, leur couple n’était qu’illusions. Sans leur fils aîné de 6 ans, Constantin, ils se seraient séparés depuis longtemps. Au contraire, pour tenter de sauver les apparences, espérant retrouver la complicité qui avait entouré la naissance de Constantin, ils avaient conçu Guillaume, qui avait fêté ses trois ans, quinze jours auparavant... Mais le miracle attendu n’avait pas eu lieu. Le couple était de plus en plus déchiré.

Plutôt que d’affronter la réalité, ils se servaient des enfants comme d’alibis pour fuir des heures durant le conjoint. On les emmenait à toutes sortes d’activités, sans même s’inquiéter de savoir si elles plaisaient ou non aux garçons. Cette solution n’avait pas véritablement arrangé les choses, car, s’ils n’avaient plus à se supporter l’un l’autre, ils continuaient à se quereller pour savoir lequel des deux s’occuperait des enfants.

La pluie continuait de tomber si drue qu’elle obligeait l’assemblée à regarder le sol. Ils échappaient ainsi au spectacle des éclairs de haine dans chaque regard échangé entre le couple.

S’accablant l’un et l’autre de la disparition de Guillaume.

C’était le samedi précédent. Alors qu’il était convenu qu’elle s’occuperait des garçons le samedi et que le dimanche ce serait au tour de son mari, Nathalie changea d’avis à la dernière minute. C’est de manière fort courtoise, mais d’un ton n’admettant pas la moindre objection, qu’elle ordonna à François de s’occuper de leurs enfants pendant toute l’après-midi.

Las des querelles sans fin, François n’avait pas eu la force morale de lui tenir tête, et avait capitulé. Le temps était agréable, et il irait à la pêche, comme ils l’avaient prévu, auparavant, pour le dimanche. Ce n’était pas la première fois qu’il emmenait Constantin et Guillaume avec lui. Parfois ceux-ci pêchaient aussi un peu avec lui, mais le plus souvent, ils jouaient seuls dans le petit bois entourant l’étang.

Juste après le déjeuner, ils étaient donc partis, tous les trois, entre hommes, vers ce havre de paix qu’ils aimaient tant, mais où l’un d’eux avait rendez-vous avec la mort.
La pluie redoublait encore. François se surprit à imaginer un scenario tragique, la terre gorgée d’eau s’affaissant et entraînant Nathalie dans la tombe avec elle, l’ensevelissant à tout jamais. Sans sa défection à la dernière minute, leur fils serait toujours là.

Il avait encore leurs cris et leurs rires dans la tête. C’était véritablement une belle journée. Non seulement pour le climat, mais aussi parce que, pour une fois, les garçons ne se disputaient pas. C’était si rare !  Ils jouaient à cache-cache. Cela leur prenait toujours des heures, tant il y avait de possibles cachettes. François les entendait rire, pousser des cris. Ils étaient assez éloignés, c’était le bon moment pour sortir son portable et bavarder loin des oreilles indiscrètes :

« Allo ? Juliette, ma chérie… »

La pluie continuait de s’abattre en rafale... Le vent s’était levé. Nathalie avait toutes les peines du monde à ne pas hurler que l’on fasse François quitter le cimetière. Lui, l‘assassin de leur fils. Sa place était derrières les barreaux. Arriverait-elle à se contrôler ? Ou suivrait-elle son instinct qui lui ordonnait de prendre la lourde pelle, oubliée par une des fossoyeurs en bout d’allée, pour l’assener de toutes ses forces sur la nuque de cet homme qu’elle haïssait ? Ce n’est pourtant pas bien sorcier que de surveiller deux enfants !

Quelle n’avait pas été sa surprise, le samedi, de constater que François avait tenté de l’appeler des dizaines de fois, lui avait envoyé presque autant de textos. Elle avait coupé la sonnerie ainsi que la fonction de vibrations pour ne pas être dérangée. Elle ne s’en était pas inquiétée. Elle pensait que François voulait se venger d’une manière ou d’une autre, son changement de programme de dernière minute. C’est très distraitement qu’elle prit connaissance d’un premier message. Elle était encore lascivement étendue sur le lit, admirant par la porte restée ouverte, le corps de l’homme prenant sa douche. Le texto restait gravé en lettres de feu au fond de sa mémoire :

« Guillaume a disparu ! »

La suite restait confuse. Elle se souvenait avoir hurlé, être sortie de la chambre, courant à moitié nue dans le couloir de l’hôtel, tout en s’habillant.

La pluie continuait de tomber, comme si elle voulait purifier les esprits.

Familles, amis ou collègues s’étaient placés derrière Nathalie ou François, selon leurs prises de positions… Deux clans hostiles, qui, malgré la gravité du moment, étaient prêts à en venir aux mains. Entre eux, quelques voisins ignorant encore les tensions, ou n’ayant pas pris parti.

François rejetait toute la faute sur sa compagne. Si elle n’avait pas fait faux bond à la dernière minute, Guillaume serait encore en vie. Oui, culpabiliser Nathalie, pour ne pas avoir à assumer sa propre incompétence, mais aussi pour venger son honneur bafoué. Apprendre le jour de la mort de leur fils qu’elle le trompait depuis des années avec celui qu’il considérait comme son meilleur ami, Mansour. Le venin de la jalousie, ou plutôt celle de l’humiliation, s’insinuait de plus en plus profondément en lui. Il venait à douter de sa paternité concernant Guillaume, même si l’enfant lui ressemblait tant. Le brasier de la haine, utilisant tous les soupçons possibles et imaginaires pour grandir. Empli de mauvaise foi, il arrivait même à se persuader que c’est la liaison extraconjugale de son épouse qui l’avait poussé dans les bras de Juliette.

La pluie tombait si fort qu’elle couvrait la voix du prêtre. Mais c’était sans importance pour François qui revivait les dernières heures avant le drame :

« Papa ! Papa ! Papa ! On jouait à cache-cache, et Guillaume a disparu »

François avait manifesté de la mauvaise humeur d’être dérangé. Il avait tout d’abord répondu :

« Eh bien, cherche ton frère ! Tu es vraiment nul si tu n’es pas capable de le trouver ! Tu es grand, donc plus intelligent que lui, non ? Fous moi la paix » et il avait repris sa conversation avec Juliette.

Constantin était reparti en courant, tout en criant le prénom de son frère.

François parla encore ainsi une bonne heure avec Juliette avant de raccrocher. Constantin hurlait encore le prénom de Guillaume. Cris qui l’agacèrent rapidement.

« Constantin, Guillaume, arrêtez de crier ! Et revenez ! »

Seul Constantin revint, ce qui énerva prodigieusement son père.

« On ne peut vraiment pas te faire confiance ! Tu ne pouvais pas le surveiller ! Non, bien sûr ! C’est trop te demander ! Quel égoïste tu fais ! Guillaume, maintenant, ça suffit ! Ramène tes fesses ici, et que ça saute ! »

Seul le murmure du vent lui répondit. A grands pas rageurs, François partit vers la forêt, non sans hurler encore une fois :

« Guillaume, si tu ne te montres pas immédiatement ta verras de quel bois je me chauffe ! »

Il lui fallut encore une heure de vaines recherches avant de se rendre à l’évidence : son fils avait bel et bien disparu. Alors, il appela d’abord la police, ensuite Nathalie.

Ce n’est que le lundi que les plongeurs retrouvèrent le petit corps au fond de l’étang.

La pluie ruisselait sur les visages tristes, se mêlant à leurs larmes.

Devant le prêtre, Constantin se tenait tête basse, face à la tombe béante. L’assistance le prenait en pitié, le croyant écrasé de chagrin. En réalité, Constantin était heureux de cette pluie bienvenue, dégoulinant sur son visage sans larmes.

Oui, tête basse, Constantin camouflait ainsi un sourire resplendissant. Il était à nouveau fils unique. Débarrassé de ce frère maudit.

A la naissance de Guillaume, il était pourtant tellement heureux d’avoir enfin un petit frère avec qui il pourrait jouer. Certes, il avait été déçu en constatant que le nouveau né était tellement petit.

Petit à petit, il avait commencé à détester Guillaume. Ce dernier ayant pris sa place d’enfant-roi. Ses parents le délaissaient pour ne s’occuper que du nourrisson. A lui, Constantin, les corvées, sous le prétexte injuste qu’il était le plus grand. En grandissant, Guillaume commença à multiplier les bêtises mais c’est Constantin que l’on accusait automatiquement. Et ce fourbe de petit frère se mettait à pleurnicher pour un rien, dès la moindre contrariété, et, automatiquement, les parents suspectaient Constantin de maltraiter son frère. On lui ordonnait de faire tout ce que voulait Guillaume. Lui, Constantin, n’avait plus aucun droit.

La pluie martelait le sol, comme si elle cherchait à attirer l’attention de l’assistance.

Tête basse, le visage caché par une capuche trop grande, Constantin souriait. Il revivait le drame. Il revivait l’instant où lui, Constantin, il avait vu Guillaume courir vers les cygnes au bord de l‘étang, se pencher pour essayer de les caresser. Cela avait été si facile de le pousser…  papa ne se préoccupant pas d’eux, comme toujours.  Au départ, il avait poussé Guillaume pour bien « rigoler » de le voir mouillé. Et puis, papa le gronderait peut-être ? Il s’énervait toujours quand on était mouillé, parce qu’on allait salir sa belle voiture.

Guillaume avait basculé, tête en avant, dans les eaux grises de l’étang. Il y avait eu quelques bulles remontant à la surface, qui l’avaient bien fait rire. Puis, plus rien.

Constantin, sans prendre conscience de la gravité, savait qu’il venait de faire une grosse bêtise. Alors, pour ne pas être grondé, pour ne pas avoir, une fois encore la fessée à cause de ce maudit petit frère, il avait eu l’idée de faire croire qu’ils jouaient à cache-cache.  Il suffisait de crier, comme d’habitude, des « hou ! », des « houhou ! » ou encore des « Guillaume, je suis là ! Tu ne me trouveras pas ! »

Caché derrière un buisson, il criait, tout en observant son père. Celui-ci, adossé à un arbre, était au téléphone. Celui-ci ne se préoccupait de rien. Il ne voyait même pas les bouchons de ses lignes bouger, qu’il avait des prises. Non, papa parlait et riait dans son portable. C’était si rare de voir papa rire.

Après une longue attente, peuplée de ses faux cris de jeu, Constantin s’était alors précipité vars son père.

« Papa ! Papa ! Papa ! On jouait à cache-cache, et Guillaume a disparu »

Il avait désigné la direction opposée de celle où ils étaient.

La pluie cessa tout aussi brutalement qu’elle avait commencée. Et le soleil darda un de ses rayons, entre deux nuages, éclairant uniquement la petite tombe.

Là-haut, au dessus de l‘assemblée, un ange, nouvellement arrivé, observait la scène et souriait. Lui connaissait déjà l’avenir de son grand frère, Constantin, qui ignorait encore que, juste à côté de lui, un autre petit frère grossissait dans le ventre de sa mère. Il ignorerait que la disparition tragique de Guillaume rendrait ses parents encore plus super protecteurs du futur bébé, et encore plus injustes envers Constantin.

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